D’un bleu très noir

d'un bleu très noir

« Le bonheur, c’est du chagrin qui se repose »
Léo Ferré

 

Pour chanter les passions, les destins douloureux, pour ouvrir des chemins de liberté aux musiciens, Angélique lonatos choisit le blues, une nouvelle manière pour de nouvelles émotions.

 

Angélique Ionatos poursuit sa promenade gourmande et buissonnière, confirmant son plaisir intense à être l’interprète d’une mosaïque de compositeurs et d’auteurs qui viennent flirter avec ses propres compositions. Elle s’offre là des chemins de liberté arpentés déjà avec « Chansons nomades », une élégie ensoleillée en duo avec Henri Agnel.

 

Aujourd’hui, en contrepoint, c’est une sonate cré­pusculaire qu’elle propose, une ballade en quatuor du côté des remous de l’âme, des émotions et des blessures. Autant de sentiments qui réclament une couleur musicale particulière, des sonorités et une atmosphère que seul le blues peut restituer. C’est donc décidé, ce sera du blues, et pour cela, à ses côtés, elle invite son complice de toujours, Henri Agnel, mais aussi Michael Nick et son violon, César Stroscio et son bandonéon. Le choix des instruments est toujours déterminant pour Angélique lonatos. D’un récital à l’autre, d’une création à l’autre, la première étape, celle de la gestation, est un travail intérieur, la résonance intérieure d’un instrument. Ici un désir ancien s’est réveillé et les notes étirées, syncopées du bando­néon se sont faites entendre. « D’ailleurs dit-elle, cet instrument dans mes musiques n’est pas de l’exotisme, en Grèce l’accordéon est très utilisé et puis il y a bien longtemps que je souhaitais travailler avec César Stroscio que j’avais découvert du temps du Cuarteto Cedron. Quant au violon, si pur, si aérien, si sensible de Michael Nick, je l’avais déjà mis à l’œuvre dans Parole de juillet. »

 

Pour Angélique Ionatos, toute aventure artistique est affaire de connivence et de complicité. Et pour célébrer cette manière de blues grec réinventé, il fallait plus que la complicité, un souffle, un désir commun de faire de la musique ensemble, délestée de toute contrainte.

 

« Le blues, dit Henri Agnel, c’est de la musique en liberté, les arrangements donnent une structure musicale de base à partir de laquelle les musiciens peuvent improviser, c’est la possibilité de donner à l’interprétation des reflets changeants dus aux humeurs et aux émotions du moment, à la qualité d’échange avec le public, à la spontanéité ludique d’ Angélique. Cette grande disponibilité permet d’introduire de la légèreté, de l’humour, voire de la gaieté, même si l’on raconte des histoires graves … » …. « Ce n’est pas triste, aime dire Angélique Ionatos, c’est tragique ! Triste ce serait de la mélancolie passive, tragique c’est la passion de dire, la passion de se révolter contre un destin, le tragique est du ressort de la vie et de la mort, cela donne sa gran­deur et sa beauté à la condition humaine. C’est cela que j’ai eu envie de raconter avec ce récital qui sera traversé par cinq figures féminines. »

 

Ainsi « La Lamentation de Marie », qui refuse de porter le fardeau du Sauveur, et qui voudrait tant accoucher d’un simple enfant qu’elle pourrait chérir tranquille­ment. Il y a Rosa, Rosa Luxembourg qui est venue pour sauver un rêve et qui chante la tragédie des révolutionnaires, Marie des brumes, la contestataire, la subversive, la compagne de tous ses récitals, Sappho, bien sûr, la première de toutes les poétesses, la première à chanter l’amour, à dire « je » et enfin Alphonsina Storni, qui raconte l’histoire d’une poé­tesse argentine qui, se sachant condamnée, est allée se jeter dans la mer à Mar del Plata, le bord de mer de Buenos Aires, là où aujourd’hui il y a une statue d’elle qui, pour l’éternité, regarde la mer.

 

A côté de ces cinq destins de femmes, d’autres destins, d’autres figures emblématiques, telles celle du poète Cavafy, qui porte en lui la culpabilité d’une homosexualité douloureusement vécue. Et comment ne pas chanter la mort et la vieillesse par la voix de Léo Ferré et sa chanson très belle et très peu connue « Vieille Branche », et aussi des histoires de gitans, et bien d’autres encore pour ce récital aux émotions multiples qui s’organise autour de nouvelles compositions d’ Angélique Ionatos, de nouvelles orchestrations avec des détours du côté de Theodorakis, Barbara, Léo Ferré, pour n’en citer que quelques-uns. Tous artistes de cœur de la galaxie dont Angélique Ionatos s’enrichit.

 

De ce « cœur innombrable », source d’inspira­tion, surgiront des chants nocturnes, ces mythes et destins faits d’ombre et de lumière, un hymne à Eros et Thanatos, le temps d’un soir, le temps d’une nuit, le temps d’être bouleversé par ce nouveau rendez-vous que nous donnent Angélique Ionatos et ses compagnons de voyage.

 

Martine Spangaro